mardi 27 octobre 2015

Ouverture goulotte Le Prestige des Ecrins – Pic Sans Nom-Face Nord



Cela fait 10 mois que la vision de cette goulotte nous hantait l’esprit.
C’est en janvier dernier que les guides d’Écrins Prestige, Frédéric DEGOULET et moi même, sommes tombés nez à nez avec cette ligne de glace parcourant toute la face nord du Pic Sans Nom, alors que nous redescendions de la goulotte Marshall’Ombre.
Malheureusement, quelques jours après, la neige faisait son apparition mettant un terme à ce projet.

Ce n’est qu’en Octobre 2015, lors d’un retour de la goulotte Grassi, que Nicolas DRAPERI nous fit passer une photo de la face. A notre grand bonheur la goulotte s’était reformée dans son intégralité.

La motivation et le créneau météo étant là, il ne nous restait plus qu’à trouver un troisième joueur pour partager les joies d’une ouverture en face nord. Reformer le même trio qui avait sévi cet hiver en face nord de Gramusat lors de l’ouverture, « A trois c’est mieux« , nous paraissait être idéal.

Benjamin BROCHARD serait de l’aventure, l’équipe d’Écrins Prestige allait être à nouveau réunie..!
De nos jours, penser trouver une ligne vierge dans le massif des Écrins est chose rare, surtout avec les féroces montagnards avides d’ouverture qui jalonnent nos contrées. Pour cela on fera profil bas, durant la préparation et l’endroit de notre périple.

Départ ce lundi 19 octobre 2015, à 8h du Pré de Madame Carle, direction le pied de la face, pour environ 3h de marche avec de bons gros sacs.
Nous partons pour un objectif de 2 jours de grimpe et une nuit en paroi. La face ne faisant « que 1000m », nous pensons sortir des difficultés le premier jour, et dérouler le second jusqu’au sommet.

Les premières longueurs vont vite nous rappeler que le rocher de l’Oisans ne nous laisse pas trop de possibilités de protection, et ralentit nettement l’ascension. Bilan de la première journée, 5 longueurs dont la seconde particulièrement démente à grimper et à protéger pour un total de 5h de grimpe. On trouvera un emplacement de bivouac idéal dans la roture (cavité, créée du fait de la gravité, entre le pied de la paroi rocheuse et la fin de la pente de neige). Un grand luxe avec tout le confort pour passer notre première nuit en pleine face nord. Pendant que Benjamin fixe la prochaine longueur, nous confectionnons le bivouac, et profitons d’un couché de soleil exceptionnel sur le massif du Mont Blanc.
Au menu du soir, 4 lyophilisés, du thé, et une petite tartelette. On gardera 1 lyophilisé, fromage, jambon et un bout de pain pour notre « dernier » jour.

Second jour, levé à 6h45. Une nuit « pas pire », malgré quelques spindrifts (petite purge de neige poudreuse…) infiltrés dans nos duvets. Une fois le matériel rangé, le petit déjeuner pris, on part pour notre soi-disante dernière journée dans la face. Benjamin se met à l’œuvre et enchaîne les nombreuses longueurs de glace/neige. Rien de techniquement éprouvant mais la face n’en finit pas. Pratiquement toutes nos longueurs seront entre 50 et 55m. Dans ce rocher compact, ce n’est pas facile de trouver de quoi faire de bons relais pour hisser le sac, on passe pas mal de temps pour mettre de bonnes protections et la glace n’est pas assez épaisse pour poser des broches.

On arrive au second passage clé de la face. La jonction entre le bas de la face, et « l’araignée » suspendue en plein milieu. Sur les photos, cela ne nous inspire pas beaucoup. La glace nous parait très fine, voir inexistante, le passage en rocher incertain, bref on doute pas mal. Arrivés au pied du bastion rocheux, Frédéric prend le relais, et s’attaque à la première longueur en rocher. Magnifique passage de 25m en légère traversée à gauche. De là on hésite à partir à gauche, où le rocher parait plus couché, ou continuer tout droit. On distingue la grande rampe qui va nous mener à « l’araignée » de glace suspendue. On partira tout droit, pour faire à nouveau une belle longueur très technique en dry pur de 30m. La troisième longueur en rocher se fera en traversée droite avec un passage très aléatoire pour la pose de pieds et de piolets. Belle démonstration technique et mentale de Fred. La longueur se finira par une traversée dans de la neige/glace difficile à protéger sur 20m. Bilan, 80m de rocher en M6+ ou 6a en grimpe qui nous auront donné du fil à retordre.
De là, je reprends le lead, pour finir la journée.
Une grande traversée sur la droite nous fait prendre pied sur « l’araignée » suspendue. Un gaz époustouflant nous donne vue sur la Raie des fesses en contrebas. Pour les amateurs de Base jump, c’est un exit idéal !!!

Un nouveau bivouac (imprévu) s’impose.

Et oui, avec toutes ces longueurs, il est déjà 16h et nous sommes très loin de la sortie. 2 longueurs après, on décide d’arrêter pour confectionner notre second bivouac suspendu . Nous creuserons sur 1m50 de hauteur, 4 de long et 1 gros mètre de large pour pouvoir espérer poser nos fesses à plats.

Bilan de cette journée, 11 longueurs dont 3 en rocher, pour un total de 10h de grimpe.
Malheureusement, nos duvets n’ont pas pu sécher et seront même pour certains encore gelés. La nuit s’annonce agréable… Au repas du soir : 1 « lyoph » pour 3, 1 morceau de fromage et un bout de pain chacun. Il ne nous restera que 2 tartelettes chacun et du jambon pour le petit déjeuner du lendemain. Heureusement, le gaz ne nous fait pas défaut, ce qui permet de bien boire le soir même et, « à priori » jusqu’à la sortie…

Après une nuit sous le signe du vent et des spindrifts, même réveil à 6h45 et même objectif : sortir absolument de cette face! Il nous reste la moitié à grimper. Plus de nourriture, duvets trempés, et…plus de gaz après avoir fait fondre 3 petits litres d’eau pour la journée… En revanche, nous ne savons toujours pas ce qui nous attend au dessus. Cela ne devrait pas être trop dur théoriquement, mais le passage reste incertain.

Je continue à grimper. Les longueurs s’enchaînent sans trop de difficultés avec toujours cette glace fine à protéger. La partie finale est une belle goulotte en glace noire plus épaisse qui nous permettra de mettre enfin de bonnes broches. Nous atteignons le sommet : il est 15h.

Bilan de la journée : 13 longueurs.


On distingue enfin le soleil sur le glacier de Sialouze mais la partie n’est pas finie. Il nous reste la fameuse descente de la face sud du Pic Sans Nom. 3 rappels nous mènent sur une banquette de neige. Une longue traversée horizontale d’au moins 200 mètres sur la gauche nous mène au couloir le plus à l’Est du Pic. Un dernier rappel et nous voila sur le glacier. De là 10 minutes nous suffiront pour arriver à la Bosse de Sialouze et enfin profiter des joies de cette ascension ! 20 minutes de soleil pour nous requinquer,se relâcher et laisser retomber la pression. L’euphorie nous gagne…c’est l’heure de… la danse du soleil…!2h après nous avons regagné la voiture, et bientôt la maison, il sera 22 heures.

Ces trois jours en montagne ont été extrêmement intenses, psychologiquement, physiquement et humainement : l’ouverture de cette voie magnifique dans le style Alpin nous rappelle à l’essentiel :

3 potes dans une face mythique, les contraintes nécessaires et évidentes au vu des vivres, des difficultés de la course et des imprévus horaires.

Ici où nous n’avons de cesse d’apprendre de la Maîtresse du jeu, nous nous confortons encore dans l’idée que la cohésion d’une équipe et son niveau d’exigence réciproque sont la clé de toutes les victoires.

Jonathan Joly , Frédéric Degoulet et Benjamin Brochard vous saluent.



Matèriel :

Aucun matériel laissé (ni perdu) dans la face, juste 3 sangles à la descente.

Pour les répétiteurs : « Le Prestige des Écrins »

1000m. M6+ ou 6a/V/29 longueurs.
2 cordes de 60m
10/12 broches à glace
5 pitons
000 au 3 friends camalot X2 jusqu’au 1